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COVID-19 : un épilogue européen ?



Après des semaines de crise sanitaire, nous commençons à sortir, à renouer avec les autres, à refaire des projets. Avec cette interrogation : de quoi le monde de demain sera-t-il fait ? Difficile de le savoir. Quelques éléments de réponse me paraissent toutefois se dégager d’ores et déjà.


Une évidence d’abord : les plus faibles, les plus précaires ont le plus souffert de la crise du COVID-19, et leur nombre ne cesse de croître dans nos sociétés ouvertes à tous les vents d’un libéralisme exacerbé. Ils ont été laissés de côté, marginalisés, les leçons de la révolte des "gilets jaunes" ont été vite oubliées. Les laissés pour compte de la crise sont aujourd’hui victimes de la double peine, hier frappés plus que les autres, aujourd’hui ignorés par des politiques de relance qui par nature et par convergence entre les responsables politiques, économiques et syndicaux, se préoccupent avant tout de rendre ce qu’ils avaient à ceux qui avaient. Dans ces conditions, ces groupes démunis risquent de se tourner vers des modèles autoritaires, prescriptifs donc rassurants. Ce serait pourtant une bien mauvaise réponse. Les régimes totalitaires rendent hommage au peuple, parlent au nom du peuple, gouvernent au nom du peuple, mais sans le peuple. Les régimes autoritaires s’effondrent heureusement tôt ou tard. Mais il est difficile de prévoir comment nos sociétés ouvertes vont évoluer. On peut sans doute anticiper la montée d’une opposition croissante entre tenants d’un ordre social fondé sur la "volonté générale" et promoteurs d’un changement radical qui "déconstruirait" l’ordre social pour le rebâtir sur la base de l’adjonction de droits individuels et de groupes d’intérêts particuliers. Rudes perspectives pour les démocraties.


Comment imaginer, dans ce contexte, l’évolution du monde ? Bien qu’ils aient été les plus affectés par le COVID-19, les pays développés retrouveront assez vite le chemin de la croissance. Ils en ont les moyens humains, financiers, technologiques. Les pays les moins développés, moins gravement touchés, auront, eux, du mal à s’en remettre, leur avenir dépendant en partie des conditions de sortie de crise dans les pays riches. Ainsi, si développer demain des politiques et lancer des initiatives visant à renforcer l’autonomie stratégique des pays européens dans le domaine de la santé, comme pour l’agriculture, la défense, la recherche et la technologie aujourd’hui, est bien sûr à notre avantage, qu’en est-il pour nos partenaires du Sud ? Il faudra trouver un équilibre qui soit juste et équitable pour eux aussi. C’est un multilatéralisme renforcé qui le permettra.


Multilatéralisme mondial d’abord. Nous avons inventé il y a 75 ans un système international unique dans l’histoire, légitime, universel, doté de pouvoirs de décision et d’action. Les Nations Unies ont certes des défauts, leur efficacité n’est pas toujours évidente et la légitimité des valeurs et principes sur lesquels elles reposent est questionnée par certains. Pourtant, elles ont permis une réelle amélioration des conditions de vie dans de très nombreux pays du Sud et permis de contenir de nombreuses crises, tout en promouvant les valeurs de la démocratie, des droits humains et de l’état de droit. Détruire les Nations Unies ne constitue pas le bon chemin, les réformer oui. Multilatéralisme régional ensuite. Pour nous Français, le monde, c’est d’abord notre Union européenne. Là encore, avec ses défauts, ses insuffisances, ses limites. Mais quelle belle aventure et que de succès rencontrés ! Nous ne devons pas ignorer l’essentiel : jamais depuis le Moyen Âge nos pays n’ont connu une période aussi longue de paix, de prospérité, de liberté et de sécurité. Jamais l’Europe n’a poursuivi un partenariat aussi apaisé avec ses partenaires du monde en développement, auquel elle apporte près de la moitié de l’aide au développement mondiale. Tout n’est pas parfait certes, mais l’Union européenne ne cesse de s’adapter, de se réformer, de s’approfondir. Qui dirige l’Europe ? Nous, ses citoyens, à travers nos représentants élus, au Parlement, au Conseil européen et par leur intermédiaire à la Commission européenne. Si leur politique ne nous convient pas, nous pouvons en changer, en les changeant eux. Quel privilège ! Le monde entier nous envie.


Notre avenir sera largement façonné par les rapports entre les plus grandes puissances, celles des quatre sommets du "quadrilatère du monde" : Europe, États-Unis, Chine, Russie. Pour moi dans cet ordre, parce que je suis convaincu qu’est venu le moment pour l’Europe de peser davantage sur le destin du monde. L’Union européenne est au cœur de la promotion des valeurs humanistes universelles qui sont à la base du système international. Elle comprend la nécessité d’un multilatéralisme efficace, parce que sa construction et son développement reposent sur ses objectifs et ses principes. L'Europe s'est déjà dotée de beaucoup de politiques communes, elle parachève les autres (ex. Défense). Elle n’a aucune vision hégémonique et ne prétend à aucune expansion territoriale autre que par la volonté librement exprimée des peuples. Elle cultive la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, elle est ouverte au monde. Elle recèle des ressources agricoles, industrielles, financières et technologiques qui la prédisposent au retour à une croissance maîtrisée, verte, respectueuse des exigences du développement durable. Elle a les moyens d’affirmer son autonomie collective, y compris stratégique, tout en honorant ses alliances et ses engagements internationaux. Les partages de souveraineté sur lesquels elle est bâtie sont librement consentis par les peuples qui la compose. Loin d’être sa faiblesse, c’est sa force. Son modèle fascine, au-delà même de ce que parfois les Européens réalisent eux-mêmes. L’émergence de l’Europe se fera lentement et progressivement. Elle sera combattue par certains pays autoritaires à visées hégémoniques, elle sera contestée par d’autres, elle suivra une route sinueuse, avec de nombreux cahots, mais elle s’affirmera, j’en suis convaincu. L’Europe devra bien entendu savoir s’adapter aux évolutions et aux crises imprévues. Elle a toujours su le faire, elle en a plus que jamais pleinement la capacité, si elle reste fidèle à son identité collective originale, ferme sur ses principes, volontaire dans ses décisions. Bref, si elle garde le cap.


Jean-Maurice RIPERT

Ambassadeur de France


23 juin 2020




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