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Paris 2024 : sommes-nous prêts à faire des Jeux un tremplin pour notre soft power ? *


* Cette tribune a été publiée sur le site web de L'Opinion le dimanche 2 janvier 2022 et dans la version papier du quotidien le lendemain lundi 3 janvier 2022.


En France, la filière sportive ne bénéficie pas du soutien et de la reconnaissance politique, étatique, institutionnelle, voire universitaire suffisante pour être transformée en outil de rayonnement, d’attractivité et d’influence


Le discours du président de la République devant les sportifs médaillés de retour des JO de Tokyo, qui a tant fait réagir, a été un véritable « branle-bas de combat » en vue de la préparation de Paris 2024. Dans la foulée, la ministre des Sports lançait les pistes d’une meilleure coordination à l’international avec le Comité national et sportif français, puis l’Etat débloquait 10 millions d’euros au profit de la performance de nos athlètes. Ces décisions vont dans le bon sens. Pour autant, sommes-nous prêts pour 2024 ?


Si personne n’a de doute quant à l’organisation pratique et la sécurité, ni sur l’investissement de nos sportifs, sommes-nous prêts à faire des Jeux, un tremplin pour notre soft power ? Le Club France Initiative a essayé d’apporter des réponses au travers de dix propositions.


Le sport est un élément phare des politiques de puissance douce tout autant qu’il révèle la puissance traditionnelle des Etats, leur rang mondial. Or, aujourd’hui en France, la filière sportive ne bénéficie pas du soutien et de la reconnaissance politique, étatique, institutionnelle voire universitaire suffisante pour être transformée en outil de rayonnement, d’attractivité et d’influence.


De nombreux pays ont fait du sport un atout majeur. Les exemples ne manquent pas des Etats-Unis, en passant par Israël, le Qatar, le Rwanda, la Russie et la Grande-Bretagne, sans oublier la Chine. Les Etats-Unis, la Chine ou la Russie en sont les meilleures illustrations. Chacun d’entre eux se classent dans le top 5 des pays les plus grands pourvoyeurs de médailles olympiques. Les Américains par la voix du basketball ont su conquérir une audience mondiale et renforcer leur image dans le monde. En accueillant les Jeux en 2008, la Chine à quant à elle démontré au monde qu’elle était bien plus que « son usine » mais une puissance moderne, ultra-compétitive, innovante, fascinante et bientôt dominante.


Réputation


A l’inverse, l’affaire Peng Shuai est un sérieux handicap à quelques semaines de Pekin 2022 qui pourrait largement écornée une réputation déjà fortement ternie par la pandémie. La Russie a aussi su faire du sport un pilier de sa diplomatie. D’abord sous l’URSS qui souhaitait prouver au monde la supériorité du modèle communiste puis entretenu sous Vladimir Poutine. Celui-ci a fait du sport un élément majeur de sa politique aussi bien sur le plan intérieur qu’à l’international. Et sa méthode fonctionne. Entre 2010 et 2020, la Russie est devenu le pays accueillant le plus grand nombre d’événements sportifs. Peu importe les compétitions, celles-ci sont érigées en événements géopolitiques et de prestige, destinés à marquer durablement les esprits.


S’il y a un exemple à suivre pour la France, c’est bien celui du Royaume-Uni. D’une part car notre voisin a réussi des JO exceptionnels en 2012 par la qualité de l’évènement mais aussi par son impact pour l’attractivité mondiale britannique et la promotion de Londres comme ville-monde. La transformation de la capitale ayant eu un impact tout à fait considérable sur la fréquentation touristique et sa capacité à attirer les meilleurs talents dans les années qui ont suivi. Autre choix stratégique fait par les Britanniques, la recherche de la performance en faisant le choix rationnel de soutenir spécifiquement les sports et sportifs pouvant rapporter des médailles olympiques. En effet, le succès sportif est une dimension incontournable d’une diplomatie sportive réussie. Par comparaison, le Royaume-Uni est systématiquement dans le top 5 des derniers JO depuis 2012. Lors de l’édition de Tokyo, la Grande-Bretagne a remporté 65 médailles contre 33 pour la France !


Le sport est un instrument et un levier au service d’une politique et pas simplement un divertissement ou un secteur économique. Ignorer la capacité du sport à jouer sur les représentations de ce que nous sommes à l’étranger, c’est aujourd’hui ne pas comprendre la manière dont fonctionne le monde. La réputation internationale de notre pays passe indéniablement par le sport.


En 2024, les JO de Paris concentreront tous les regards sur notre pays. Dans ce contexte, la performance de nos athlètes est primordiale, pour le sport français mais aussi pour la capacité d’influence et de rayonnement du pays et son unité.


Le maigre bilan de notre délégation à Tokyo nous a amené à revoir notre stratégie. Avec l’Agence nationale du sport, nous avons enfin opté pour une voie comparable aux Britanniques. Le secteur de la performance a été réorganisé et les moyens revus à la hausse avec un accompagnement supplémentaire de 10 millions d’euros à investir en priorité pour remporter davantage de médailles. Mais pourra-t-on faire de nouveaux champions en moins de trois ans?


Marque France


Secteur chiffré à près de 2 % du PIB et plus de 450 000 emplois, sans compter le poids du bénévolat, le sport est un poids lourd ignoré de notre économie. Sans parler de toutes les retombées directes qu’il engendre dans le domaine touristique avec l’accueil de grands événements, ses retombées indirectes sont colossales du point de vue réputationnel et commercial en montrant la qualité d’accueil de notre pays et les extrêmes compétences de notre société. En soi, le sport est une vitrine idéale du savoir-faire français et de ce que nous sommes. Il sert à la foisla marque France tout en étant un élément fort d’une politique de cohésion nationale.


Pour y parvenir, il nous faudra d’abord, dans les trois prochaines années, changer les mentalités. C’est d’un vrai choc des cultures dont nos décideurs ont besoin. Renforcer la formation professionnelledes dirigeants du public et du privé est essentielle pour considérer le sport dans toutes ses dimensions et notamment géopolitiques.


L’autre impératif, c’est de se doter d’une diplomatie du sport ambitieuse avec une stratégie, des moyens et des objectifs. Si Laurent Fabius avait su en son temps donner une vraie impulsion lors de son passage au Quai d’Orsay, l’essai n’a pas été transformé. Or, il est essentiel de mobiliser nos ressources et nos diplomates pour promouvoir la France et faire valoir nos intérêts dans le sport et via le sport. Nous proposons par exemple de créer une dizaine de postes dédiés sur le modèle des attachés de coopération audiovisuelle.


Parmi les autres pistes, la structuration d’une véritable francophonie du sport est à privilégier en organisant des associations francophones au sein des fédérations professionnelles. Cela doit s’accompagner d’un véritable travail d’influence privilégiant l’entrisme au sein des organisations et fédérations internationales.


D’une manière générale, il faut reconsidérer le secteur du sport comme stratégique. Plus forte croissance avant Covid, le sport mondial représente 1200 milliards d’euros. Au-delà de la prise de conscience, nous invitons tous les acteurs à s’associer pour « chasser en meute » à l’international avec les rampes de lancement que constituent nos postes diplomatiques et organismes associés tournées vers l’international comme le réseau des Chambres de commerce.


Actif stratégique


Par ailleurs, nous suggérons qu’une réflexion soit menée pour protéger le sport français d’une trop grande dépendance des investissements étrangers. C’est un actif stratégique, voire une composante essentielle du patrimoine national favorisant à la fois la cohésion nationale et notre rayonnement dans le monde. Il paraît indispensable de se donner les moyens de contrôler les investissements étrangers dans ce domaine.


Enfin, nous pourrions nous appuyer sur la communauté des Français à l’étranger impliqués dans le sport. Qu’ils soient sportifs professionnels, entraîneurs, entrepreneurs, cadres du secteur sportif ou dirigeants d’associations sportives locales, tous peuvent être nos meilleurs ambassadeurs et faire du sport un véritable atout pour notre pays et notre société.


Dans notre politique étrangère et le narratif que nous offrons au monde, le sport doit avoir un rôle moteur animé par un engagement de tous les acteurs publics et privés. Cette mobilisation serait bénéfique pour aider nos sportifs à gagner, nos entreprises à s’exporter et au monde sportif d’être un relais de notre diplomatie et de notre rapport aux autres.


Paris 2024 est une chance historique, saisissons-la! Le « sport power » à la française doit devenir une réalité et un quotidien, pas une incantation.


Jean-Baptiste GUÉGAN et Vincent BERTHIOT


Vincent BERTHIOT est spécialiste des affaires publiques. Français à l’étranger d’abord en Asie puis en Europe, il a cofondé le Club France Initiative en 2019. Consultant et enseignant en géopolitique du sport, Jean-Baptiste GUÉGAN est l’auteur et le directeur de plusieurs ouvrages sur le sport et ses enjeux comme Géopolitique du sport, une autre explication du monde ou Football Investigation, les dessous du football en Russie (Bréal/Studyrama).


* Cette tribune a été publiée sur le site web de L'Opinion le dimanche 2 janvier 2022 et dans la version papier du quotidien le lendemain lundi 3 janvier 2022.


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