Mardi 20 avril, l’Assemblée nationale pakistanaise était saisie d’une résolution gouvernementale ordonnant l’expulsion de l’ambassadeur de France à Islamabad pour calmer le jeu avec le parti islamiste radical Tehreek-e-Labbaik Pakistan. Dans le même temps, nos compatriotes sont appelés à quitter provisoirement leur pays de résidence en raison des menaces qui pèsent sur les intérêts français. Dans ce contexte, il nous paraît utile et nécessaire de s’interroger sur l’absence d’une “diplomatie religieuse” de la France.
Depuis l’automne 2020, la re-publication des caricatures du prophète Mahomet par Charlie Hebdo ravive le débat sur le blasphème au Pakistan et dans d’autres pays musulmans. Dans un tel moment, le discours du président de la République en hommage au professeur Samuel PATY, sauvagement assassiné, a profondément heurté le monde musulman.
De vives réactions
Les propos d’Emmanuel MACRON, s’ils visaient à rassurer l’opinion française, ont suscité de vives réactions, notamment des manifestations, des appels au boycott des produits français, mais également des déclarations incendiaires du président turc Recep Tayyip ERDOGAN, ainsi que du Premier ministre pakistanais, Imran Khan, qui accuse alors le président français d’”attaquer l'islam”. L’ancien Premier ministre de la Malaisie, Mahathir MOHAMAD, explique quant à lui désapprouver le meurtre de Samuel PATY mais comprendre la colère des musulmans et les passages à l’acte, compte tenu de notre passé colonial. Des critiques ont également été formulées dans les médias et sur les réseaux sociaux, du Maghreb au Moyen-Orient en passant par la Malaisie, le Bangladesh ou l’Indonésie et même aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Ce qui se passe au Pakistan et ailleurs doit nous interpeller car, dans cette affaire, la France a à la fois altéré son “soft power” vis-à-vis des pays musulmans, mais a aussi porté atteinte à la compréhension mutuelle et à la collaboration entre les majorités tolérantes et pacifiques des populations musulmanes et non musulmanes à travers le monde.
Expliquer la laïcité à la française
Pour essayer d’anticiper ce type de situation, la France aurait pu mettre en place depuis longtemps une véritable stratégie de diplomatie publique pour expliquer la laïcité et le droit de blasphémer, car l'incompréhension de ces principes est au cœur du problème.
La création d’une mission dédiée à la “diplomatie religieuse” au sein du ministère des Affaires étrangères nous paraît d’autant plus nécessaire au regard de l’état extrêmement préoccupant de l’exercice de la liberté de religion et de conviction dans le monde.
La pleine liberté d’opinion religieuse est un droit fondamental, consacré par la Déclaration universelle des droits de l’Homme et réaffirmé par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Force est cependant de constater que cette liberté, qui comprend, outre la liberté de culte, la liberté de se réclamer d’une religion ou d’une conviction, de ne pas en avoir, d’en changer ou d’y renoncer, est bafouée par plusieurs États, y compris signataires du Pacte. De nombreuses minorités religieuses (chrétiennes, musulmanes, bouddhistes et hindouistes) au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie sont ainsi menacées chaque jour *. Les Ouïghours, les Rohingyas et les Chrétiens d’Orient en sont les premières victimes.
D'autres agissent
Face à cet enjeu fondamental, certains pays ont fait le choix d’agir. Les États-Unis ont mis en œuvre l’”International Religious Freedom Act” depuis 1998. Le Royaume-Uni a, pour sa part, nommé un émissaire spécial auprès du Premier ministre créant en 2018 un programme (doté d’un budget de 12 millions de livres sterling) visant à mener des actions d’aide au développement favorisant la liberté religieuse.
Dans un tel contexte, il est difficile d’imaginer que la France reste les bras croisés. Un “pôle religieux” avait pourtant été mis en place à la fin des années 2000 au sein du ministère des Affaires étrangères, avant d’être abandonné. Il serait injuste de dire que la France ne fait rien en la matière ; mais les mesures prises, comme la création du Fonds de soutien aux victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient, ne sont pas suffisamment promues.
A croire que la religion est devenue un tabou, dans notre pays.
Il ne serait pas inutile non plus que la France fasse entendre sa voix pour participer activement à l’élaboration de la feuille de route du nouvel envoyé spécial pour la liberté de religion de l’Union Européenne. En effet, après moult tergiversations, la Commission vient de nommer M. Christos STYLIANIDES après avoir supprimé ce poste en juin 2020, puis le renouveler sous la pression d’ONG et de parlementaires. N’oublions pas que le Conseil des affaires étrangères avait adopté, en 2013, les lignes directrices de l’Union sur la liberté de religion ou de conviction. En outre, le travail de l’ancien Envoyé spécial, Jan FIGUEL, avait été largement salué - notamment pour son rôle dans la libération d’Asia BIBI. Cet envoyé spécial peut jouer un rôle prépondérant en soutien de nos actions diplomatiques en la matière.
Alors que le fléau de l’intégrisme religieux prospère, le monde a besoin d’une meilleure compréhension mutuelle qui passe par l’éducation, la pédagogie et le dialogue inter-religieux. Cette évidence doit devenir une priorité pour notre diplomatie. Promouvoir la liberté d’opinion religieuse, mais également le modèle de laïcité à la française, en prenant des initiatives plus cohérentes et plus visibles, permettrait à la France de participer activement à un enjeu crucial pour la paix, tout en améliorant son image dans le monde.
Vincent BERTHIOT, co-fondateur du Club France Initiative
* Selon la fondation catholique Aide à l’Eglise en détresse (AED)*, qui vient de publier son rapport 2021 portant sur 196 pays, les violations du droit à la liberté religieuse ont augmenté depuis 2018. Bafouée dans un pays sur cinq il y a trois ans, cette liberté fondamentale le serait aujourd’hui dans un pays sur trois.
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