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Une transition d’influence



La crise sanitaire actuelle et la crise climatique et de la biodiversité à venir ont ceci en commun qu’elles touchent l’ensemble de la planète et que le jeu des choix politiques nationaux et des relations internationales rend une coordination efficace difficile. Pourtant, contrairement à la crise sanitaire, les causes de la crise climatique qui s’annonce sont connues depuis longtemps : l’an prochain marquera le 30e anniversaire de la conférence de la Terre à Rio, qui vit émerger les premiers « régimes climatiques », l’ensemble des engagements, protocoles, règles et institutions mis en place pour engager une transition vers un monde moins dépendant des énergies fossiles. Et pourtant, la seule vraie réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) depuis des décennies ne s’est produite que parce la crise sanitaire a mis un coup de frein brutal à bon nombre d’activités émettrices, comme les transports ou l’industrie.


Il y a de nombreux obstacles bien connus à l’inertie que nous constatons. Ainsi, si les causes de la crise climatique sont bien connues des scientifiques, elles le sont moins des décideurs d’aujourd’hui, alors même que les effets des crises climatique et de la biodiversité se manifestent lentement et avec un horizon de temps qui dépasse largement celui de la décision politique, financière ou économique. Cette « tragédie des horizons », que dénonçait en 2015 le gouverneur de la Banque d’Angleterre d’alors, peut expliquer une partie de l’inertie des décideurs et notre difficulté à nous défaire de notre addiction aux énergies fossiles. De même, l’importance des actifs investis depuis des décennies dans les énergies fossiles, de l’extraction à la distribution, n’incite pas à sortir rapidement.


Un effort d’éducation du plus grand nombre est donc nécessaire et on voit à ce sujet une demande croissante des étudiants pour que les questions climatiques soient systématiquement intégrées dans leurs parcours de formation. Cet élan remarquable des étudiants dans de nombreux pays, dont la France, amène les institutions et les politiques à engager enfin une vraie réflexion, voire de vrais projets ambitieux de réforme des formations.


On peut voir dans l’innovation technologique une nécessité absolue pour la transition énergétique. Mais outre qu’elle ne sera pas suffisante car elle portera sur les effets de nos comportements plutôt que sur ceux-ci, elle met en jeu des rapports de force et d’influence entre pays qui compliquent son développement. Ces rapports peuvent être un accélérateur de transition comme ils peuvent être un frein puissant.


Certes, la parenthèse TRUMP, qui ne pouvait pas imaginer que les accords de Paris n’imposent quoi que ce soit à son pays, ne semble pas avoir empêché de nombreux acteurs américains (Etats, villes, entreprises, universités, mouvements de citoyens) de poursuive leurs efforts vers une économie moins carbonée. Mais elle aura des effets durables et le plan de Jo BIDEN pour le climat sera peut-être moins ambitieux dans les faits qu’annoncé. Il reste que le retour dans les accords de Paris remet les Etats Unis, un des plus gros émetteurs de GES par habitant et depuis longtemps, en position d’influence dans le domaine de la transition.


L’autre acteur majeur est bien sûr la Chine, premier émetteur mondial avec plus du quart des émissions mondiales de GES. Au nom du principe des « responsabilités communes mais différenciées » adoptées dès la conférence de Rio, la Chine a longtemps échappé à des engagements réels en faveur d’une décarbonation de son économie. Alors que les Nations Unies déplorent la faiblesse des engagements pris un peu partout dans le monde, la Chine semble jouer sur plusieurs tableaux. Sa remarquable croissance s’est fondée sur les énergies fossiles, et notamment sur le charbon, une des pires sources d’émission. Les banques chinoises sont les plus gros financeurs de l’extraction du charbon et de la production d’électricité à partir du charbon. La poursuite d’une croissance importante peut au moins aboutir à une recomposition du mix énergétique en faveur d’énergies non fossiles, ce qui ne veut pas pour autant dire que les émissions de GES diminueront. Même si elle a annoncé une ambition de neutralité carbone pour 2060, c’est d’ailleurs sur cette seule recomposition que la Chine s’est engagée, un objectif plus facile à tenir que celui de réduction des émissions.


Dans le même temps, la Chine assoit sa position de leader dans les nouvelles formes d’énergie, qui sont des terrains d’innovation majeurs et constants, notamment le solaire et l’éolien. De plus, ces technologies et celles qui y sont liées, comme le stockage électrique, utilisent des matières premières dont elle a aussi le leadership. Dans un contexte où l’image de la Chine dans les opinions publiques s’est dégradée dans bon nombre de pays (en Asie moins qu’ailleurs), cette capacité d’influence est appréciable, mais elle complique la transition à l’échelle de la planète.


Et l’Europe dans tout ça ? Comme toujours, la diversité des situations des pays membres en matière d’émissions de GES est une difficulté. Mais l’engagement d’accélération de la réduction des émissions est considérable : l’objectif était de réduire de 40% les émissions en 2030 par rapport au niveau de 1990, l’engagement du Green Deal européen est désormais une diminution de 55%. Les moyens requis sont tout aussi considérables, le programme étant présenté comme l’équivalent du 18 programmes Apollo. La BEI se voit de ce fait désignée comme « banque du climat », des programmes éducatifs, de recherche et d’infrastructure sont mis en place. L’effort est considérable pour cette décennie qui « passe ou qui casse », comme l’a décrite la présidente Ursula VON DER LEYEN, et l’enjeu n’est pas seulement climatique, il est de donner une nouvelle mission à l’Europe., gage d’une plus grande efficacité. Pourvu que ça dure.


Le COP 26 de Glasgow prévue à l’automne prochain devrait, enfin, s’attaquer à la mise en œuvre d’une transition juste et de son financement. Cette transition est devenue un levier d’influence, espérons que celle-ci s’exercera en faveur de ce bien commun mondial qu’est le climat.


Christian KOENIG

Secrétaire général

Ancien Professeur et Directeur des relations internationales à l'ESSEC

2 avril 2021

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