Un réarmement global dans un monde instable
Dans son dernier ouvrage, Alain Bauer nous interpelle en nous rappelant qu’« au commencement était la guerre »… mais « espérons finir en paix », nous dit-il. Ne serait-ce pas la meilleure synthèse de la loi de programmation militaire en cours d’examen à l’Assemblée nationale ? Dès 2017, le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des armées, démissionnait sur fond de désaccord budgétaire avec le nouvel occupant du « château », le président Emmanuel Macron. Le général était bien conscient des limites de notre « armée bonsaï » face à l’augmentation des menaces et des défis mondiaux. Cependant, en cohérence avec ses promesses de 2017, Emmanuel Macron décidait de rompre avec ses prédécesseurs en accroissant les ressources des armées dès son premier budget. La loi de programmation militaire (LPM) 2019-25 est ensuite venue confirmer une politique de réparation des armées, avec 295 milliards d’€.
Bien sûr, la guerre d’Ukraine change la donne. Ce conflit à haute intensité, d’un autre âge, qui a déjà fait au moins 300 000 morts de part et d’autre, plus de 7000 victimes civiles et plusieurs milliers de blessés et d’estropiés, oblige la France à accélérer. Avec le retour des États-puissances, c’est à un véritable réarmement du monde auquel il lui faut faire face. Selon les chiffres du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), les dépenses militaires mondiales ont atteint 2 240 milliards de dollars américains, avec une augmentation de 30% des budgets en Europe. Au cours de la période 2013-2022, les dépenses mondiales ont augmenté de 19 %. La France occupe désormais la 8e place en matière de dépenses militaires. Sans surprise, les Etats-Unis (39% des dépenses mondiales) et la Chine (13%) arrivent premiers, suivis par la Russie, l’Inde et l’Arabie Saoudite.
Ainsi, la France investira 413 milliards d’€ sur 7 ans avec la LPM 2024-2030, pour répondre à l’évolution du contexte stratégique mondial. Une augmentation sans précédent que le Club France Initiative ne peut que saluer.
Le pari de la qualité sur la masse
Le retour de la guerre à haute intensité aurait pu laisser penser que la France allait s’engager à massifier ses forces. Finalement, cette LPM, malgré les augmentations budgétaires inédites, permettra à nos armées de se moderniser tout en continuant à faire ce qu’elles font le mieux. Cela a le mérite de la cohérence. C’est aussi faire le pari que l’enlisement de la Russie en Ukraine la rend plus vulnérable et moins menaçante pour l’Alliance atlantique sur le court et moyen terme.
En revanche, il est vital pour la France de s’adapter aux nouvelles menaces et de tirer parti des avancées technologiques. Ainsi, la LPM prévoit des investissements dans des domaines clés tels que la cybersécurité, le renseignement, les systèmes d'armes de nouvelle génération et les capacités spatiales. Elle permettra de lancer le porte-avion nucléaire du futur pour des essais à la mer en 2036. Disposer d’un groupe aéronaval de cette dimension renforcera notre présence bien au-delà de notre propre espace maritime. Le but de cette stratégie est de maximiser l'efficacité opérationnelle, tout en préservant la flexibilité et la réactivité des forces armées.
De plus, la France estime que le soutien des armées européennes, réunies dans le cadre de l'OTAN, fournirait la masse nécessaire en cas de conflit de haute intensité. Enfin, elle compte sur la capacité de son armée hautement qualifiée à neutraliser n'importe quel ennemi pendant quelques jours, avant que la dissuasion nucléaire ne prenne le relais. N’oublions pas que la dissuasion nucléaire reste la clef de voûte de notre défense, véritable assurance-vie de la nation.
L’influence au cœur de la stratégie
Dans la droite ligne de la vision stratégique du général Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées françaises, l’influence est consacrée par la LPM 2024-30. Déjà élevée au rang de sixième fonction stratégique dans la Revue nationale stratégique, l’influence a vocation à contribuer à « gagner la guerre avant la guerre ». En effet, pour nos armées, les conflits ne s’inscrivent plus dans un schéma « paix-crise-guerre » mais plutôt dans un triptyque « compétition-contestation-affrontement ». « La compétition est l’état normal des relations entre États » disait Raymond Aron. Or cette compétition se déploie dans tous les domaines militaire, économique, culturel et politique.
La LPM suit donc l’idée que les forces françaises doivent être capables de mener des actions en dessous du seuil de conflit et des opérations dites « hybrides », afin de freiner et empêcher l’adversaire, grâce au renseignement, à la lutte informatique d’influence et à la « guerre des perceptions ».
Dans ce cadre, notre présidente Anne Genetet – également secrétaire de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées – a fait adopter plusieurs amendements allant dans ce sens. Qui peut nier aujourd’hui que la capacité à influencer les perceptions, les discours et les interventions des acteurs internationaux revêt une importance cruciale ? L’influence est au cœur des stratégies de tous ceux qui veulent peser sur les affaires mondiales.
Choisir son destin
In fine, la LPM n’a d’autre vocation que de permettre à la France de choisir librement son destin. Elle vise à renforcer son indépendance stratégique, qui repose sur plusieurs piliers.
Tout d'abord, il est essentiel de renforcer le rôle de la France au sein de l'OTAN, tout en veillant à préserver son autonomie de décision. De plus, une coopération renforcée au sein de l'Union européenne permettrait de consolider les capacités européennes de défense et de promouvoir une approche commune face aux enjeux sécuritaires. Il serait salutaire que l’Union Européenne fasse enfin le choix de la puissance. À ce titre, la France devrait déployer sa diplomatie publique pour aller convaincre les sociétés civiles européennes de cette évidence.
Enfin, il est primordial de préserver la robustesse de l'économie française, en particulier dans les domaines clés liés à la guerre économique et technologique.
Le monde doit être appréhendé tel qu’il est : instable et fragmenté, donc dangereux. Tout faire pour « ne pas subir » – devise du maréchal de Lattre de Tassigny – est sans doute la politique la plus avisée pour notre époque.
Vincent BERTHIOT
Délégué général du Club France Initiative
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